La France et le cannabis : réalités et avenir(s) possible(s) ?

Ces dernières décennies ont vu s’opérer un changement de regard des sociétés occidentales sur la question du cannabis.

mer. 15 mars 2023, 10:01

La France et le cannabis : réalités et avenir(s) possible(s) ?

Ces dernières décennies ont vu s’opérer un changement de regard des sociétés occidentales sur la question du cannabis. Ce changement de paradigme s’amorce dès la fin du XXe siècle avec un recul de certains pays auparavant répressifs vers des modèles de dépénalisation voire de légalisation partielle (la Californie dès 1996). L'essoufflement du modèle prohibitionniste, renforcé par les signaux politiques alternatifs incite de nombreux pays à amender leur approche politique sur le cannabis.

La France et le cannabis...

L’un des objectifs majeurs de la prohibition visait à l’origine une réduction de la consommation de cannabis à la fois par sa restriction et sa criminalisation. Cependant, à ce jour, la prohibition n’a pas eu d’effet tangible sur la consommation générale de cannabis bien au contraire, comme l’illustre le cas de la France. En effet, on estime que près de 4,6 millions de Français en auraient consommé dans l’année soit près de 10% de la population adulte. Un nombre relativement constant sur ces dernières décennies malgré un très léger recul observable sur la proportion d'usagers réguliers (au moins 10 fois dans l'année) constaté à partir de 2014. Dans l’ensemble, les données de 2020 indiquent que le cannabis demeure, de loin, le produit le plus expérimenté en France et près de la moitié des adultes (46%) indiquait l’avoir déjà expérimenté au moins une fois dans leur vie[1].

Il est intéressant de noter la surreprésentation des plus jeunes (17-20 ans) dans la consommation régulière. Celle-ci laisse supposer que la prohibition du cannabis aurait pour effet indirect d’entretenir une ‘intrigue’ autour l’interdiction de sa consommation et ce faisant, d’animer l'intérêt des plus jeunes en quête de transgression (OFDT, 2015). Ces chiffres montrent également que l’accessibilité de l’offre illicite de cannabis ne s’est donc pas tarie et ce, malgré plusieurs décennies d'interdiction, d’intense répression et d’hostile médiatisation.

Enfin, depuis le lancement du baromètre de santé publique en 1992, l’évolution de l’usage de cannabis dans la population adulte révèle une double tendance : d’une part, une augmentation de la représentation des femmes dans le panel de consommateurs, d’autre part, un vieillissement, en moyenne, des usagers annuel très représentés parmi trentenaires et des quadragénaires.

Si la prohibition ne semble pas avoir d’incidence sur la consommation, ses répercussions sur la qualité des produits sont en revanche identifiées par les spécialistes. Ainsi au cours des dernières décennies, cette influence s’est directement traduite par une augmentation significative des teneurs psychotropes sur l’ensemble des produits vendus. On relève sur les matières saisies des taux de THC atteignant 18% parfois même davantage selon les sources (certaines atteignent plus de 25% - Source  données : STUPS[INSPL] SINTES[OFDT] & Statpedia).

Or, des teneurs aussi élevées sont susceptibles de faire peser davantage de risques sur le consommateur, en particulier sur les psychoses aiguës lors de la prise mais aussi sur l’anxiété et la dépendance[2].

Il apparaît que le maintien de la politique actuelle n’endigue aucunement l’augmentation des teneurs, voire constitue même un facteur aggravant de cette surenchère permanente des risques associés à son usage. Le modèle économique des acteurs illicites reposant fortement sur le transport d’un maximum de fortes teneurs dans des volumes de stockage réduits.

Sur le plan de la santé publique, le bilan de l’approche prohibitionniste semble très peu convaincant depuis sa mise en place, il y a plus d’un demi-siècle. Enfin, ce bilan semble d’autant plus difficile à défendre que la France observe depuis plusieurs années une augmentation constante de certaines pathologies pourtant directement visés par les objectifs ‘réductionnistes’ originaux du modèle de prohibition. En réalité, cette dernière ne semble pas influencer les tendances haussières constatées sur de nombreuses maladies telles que le cancer du poumon, la dégradation de l’état mental ou encore la dépression.

Mais alors, quel avenir du cannabis en France ?

C’est justement la question dont s’est récemment saisi le Conseil Economique Social et Environnemental (CESE). En janvier, ce dernier adopté un avis général sur les politiques publiques de prohibition en vigueur dans le pays. Aussi, dans un rapport préparatoire, le conseil a constaté que plusieurs décennies de législations prohibitives n’ont pas permis d’atteindre les objectifs fixés que nous décrivions plus haut.

Lors de la mission dédiée à cette question du cannabis, la mission du CESE statue notamment que « malgré la mise en place d’un système de prohibition depuis plus de 50 ans, parmi les plus répressifs d’Europe, la France est le pays de l’UE qui compte en proportion le plus de consommateurs de stupéfiants », une affirmation qui pourrait acter l’aveu de l’échec de ses approches coercitive et répressives répétées. Plus loin, les auteurs du rapport formulent une série de préconisations en insistant sur le caractère urgent de certaines d’entre-elles[3]:

« 

-        Donner une place plus importante à la prévention pour limiter les risques pour les mineurs et les jeunes adultes ;

-        Ne plus sanctionner pénalement l’usage et la culture du cannabis à usage personnel ;

-        Retirer des casiers judicaires et des fichiers de police les délits d’usage et de détention pour les usagers ;

-        Revoir le dépistage du cannabis au volant qui peut aujourd’hui détecter un usage de plusieurs jours antérieur au contrôle. »

Loin de s’arrêter là, la commission appelle également à encadrer le marché du cannabis proposant notamment un cadre de contrôle précis. Ce cadre serait destiné à s’appliquer sur les produits transformés mais aussi sur les points de vente de cannabis. Ces derniers pourraient être par exemple soumis à l’octroi de licence, ouverts aux seules personnes majeures. Pour finir, la commission recommande un affichage clair des taux de THC sur les produits s’accompagnant de message préventifs de santé publique.

Les travaux du CESE constituent donc une première intéressante pour l’avenir d’une filière du cannabis en France. Tandis que de nombreux pays avancent vers son encadrement thérapeutique ou récréatif, il semble la France avance depuis quelques années d’importantes réflexion en vue de rattraper son retard.

Pour visionner la conférence du CESE, vous retrouverez le lien ici : https://www.youtube.com/live/aURq41nRut0?feature=share


[1] : https://www.santepubliquefrance.fr/presse/2021/usages-du-cannabis-en-france-premiers-resultats-du-barometre-sante-de-sante-publique-france-2020 (accédé le 13/09/2022)

[2] :Hines LA, Freeman TP, JAMA Psychiatry. 2020 Oct.

[3] : https://www.vie-publique.fr/en-bref/288005-cannabis-recreatif-le-cese-favorable-une-legalisation-encadree