Une proposition de loi visant à légaliser le cannabis en France ?
Le sénat s’empare à bras le corps de l'épineuse question du cannabis.
Il y a encore quelques années, l’initiative aurait semblé très incertaine. C’est pourtant chose faite : une première démarche parlementaire vers la légalisation en France a été initiée ce 30 mai dernier.
Une première proposition de loi
Le sénateur socialiste Gilbert-Luc Devinaz, a déposé une proposition de loi en vue d’une « légalisation encadrée », en s’inpirant des dynamiques actuelles au Canada ou en Allemagne. Cette proposition de l’élu de Villeurbane, elle-même appuyée de 43 cosignataires s’inscrit déjà dans plusieurs prise de position sur cette thématique du cannabis.
Cité par LyonMag, l’élu s’explique :
Sans minimiser l'impact sanitaire de la consommation du cannabis, nous considérons, à l'instar des politiques publiques existantes pour le tabac et l'alcool ou encore les jeux d'argent, que la légalisation donnera les moyens d'agir plus efficacement pour protéger davantage nos concitoyens et notamment notre jeunesse.
"Que nous le voulions ou non, il s’agit d’un sujet de société dont les pouvoirs publics doivent se saisir"
Les limites d’un demi-siècle de prohibition en France.
Ces dernières décennies ont vu s’opérer un changement de regard des sociétés occidentales sur la question du cannabis. Ce changement de paradigme s’amorce dès la fin du XXe siècle avec le recul de certains pays auparavant répressifs vers des modèles de dépénalisation voire de légalisation partielle (Californie en 1996).
En parallèle, l’essoufflement du modèle prohibitionniste, renforcé par les signaux politiques alternatifs incitent de plus en plus de pays à amender leur approche actuelle sur la cannabis. Car il convient de rappeler que l’objectif majeur de la prohibition visait, à l’origine, une réduction de la consommation de cannabis à la fois par sa restriction et sa criminalisation. Cependant, à ce jour, la prohibition n’a pas eu d’effets tangible sur la consommation générale de cannabis, ce qui est particulièrement visible aujourd’hui.
En effet on estime que près de 4,6 millions de Français en aurait consommé dans l’année, soit près de 10% de la population adulte. Un nombre relativement constant sur ces dernières décennies malgré un léger fléchissement sur la proportion d’usagers réguliers (au moins 10 fois sur l’année) constaté à partir de 2014. Dans l’ensemble, les données de 2020 révèlent que le cannabis demeure, de loin, le produit le plus expérimenté en France. Plus de la moitié des adultes (46%) indiquaient l’avoir déjà expérimenté dans leur vie. Usages du cannabis en France : premiers résultats du Baromètre santé de Santé publique France 2020 .
Si la prohibition ne semble donc pas avoir d’incidence sur la consommation, ses répercussions sur la qualité des produits vendus sont en revanche identifiés par les experts. Ainsi, au cours des dernières décennies, cette influence s’est traduite par un net accroissement des teneurs psychotropes sur l’ensemble des produits vendus. On relève aujourd’hui sur les matières saisies (sur tout le territoire) des taux de THC atteignant 18% parfois même davantage selon les sources (certaines atteignent même plus de 25%). (1)
Or, des teneurs aussi élevées sont susceptibles de faire peser davantage de risques sur le consommateur, en particulier sur les psychoses aigües lors de la prise mais aussi sur l’anxiété et la dépendance, aspect abordé dans le précèdent chapitre.
Il apparaît que le maintien de la politique actuelle n’endigue aucunement l’augmentation des teneurs, voire même constitue un facteur aggravant de cette surenchère permanente des risques associés à son usage. Le modèle économique des acteurs illicites reposant fortement sur le transport d’un maximum de teneurs hautement concentrés, s’assurant de volumes stockage réduits.
Sur le pan de la santé publique, le bilan de l’approche prohibitionniste semble donc très peu convaincant depuis sa mise en place, il y plus d’un demi-siècle.
A l’instar de la prohibition de l’alcool instaurée dans en 1927 aux USA, la prohibition du cannabis ne semble pas avoir atteint ses objectifs visés historiquement et l’usage récréatif semble plutôt s’être ajouté aux problèmes qu’elle souhaitait initialement résoudre.

Et maintenant : vers quel modèle d’encadrement ?
Selon cette proposition de loi, il s’agit donc bien de prendre acte l’échec de ce modèle de prohibition de ces dernières années pour enfin le dépasser et penser un projet d’encadrement d’avenir de la filière du cannabis en France.
Concrètement, le projet aborde de nombreux aspects tels que la production, la distribution et la vente de cannabis. L'aspect de la conformité est, lui aussi, stipulé avec un encadrement directement géré par une agence nationale dédiée. Celle-ci serait donc en charge de délivrer les divers autorisations (production et distribution) à travers le territoire.
Prévention plutôt que répression donc, l’objectif visé par les parlementaires semble clair et s’appuie sur le constat d’un besoin urgent : encadrer une réalité de consommation et d'expérimentation omniprésente en France.
Enfin, le sénateur développe notamment sur le fait que :
la légalisation permettra de contrôler en premier lieu la qualité sanitaire des produits consommés. Elle servira également à freiner grandement les trafics au bénéfice des zones concernées. De plus, il sera possible de développer des plans de prévention et des politiques de santé publique de grande ampleur, financés par la taxation des produits et par le redéploiement des moyens de répression. La légalisation doit enfin être un choc social pour libérer les populations qui pâtissent des lieux de deal. À terme, ce sont ainsi près de cinq milliards d'euros qui pourraient être mobilisés aussi bien pour la prévention, la santé publique que pour la réinsertion et le développement économique
Pour rappel, en 2018, pour la première fois depuis plusieurs décennies, près de 51% des français se prononçait en faveur d’une légalisation du cannabis (IFOP). Parallèlement, en mars 2022, près de 26% des français majeurs déclarent avoir testé le cannabidiol (CBD) en vente libre, soit un doublement depuis le dernier sondage (IFOP). Progressivement, le regard des français sur le cannabis semble amorcer un basculement historique. Il est donc heureux que les parlementaires se saisissent sérieusement du sujet.
(1) : Source données : STUPS[INSPL] SINTES[OFDT] & Statpedia